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Edouard VIII, Duc de Windsor
Pièce de théâtre - 1988

Edouard VIII, Duc de Windsor traite d'une des plus fameuses histoires d'amour du 20ème siècle. Edouard VIII, roi d'Angleterre, abdique pour une américaine deux fois divorcée, Wallis Warfield-Simpson. L'action se déroule de 1936 à 1986 avec en filigrane la deuxième guerre mondiale.

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Acte II
Scène 2

Les personnages : Wallis, duchesse de Windsor
David, duc de Windsor
Marguerite Moulichon, femme de chambre de Wallis
George Ladbrook, chauffeur de David

Le parc du château de Candé en Touraine, le 5 Juin 1937. Il fait très beau, les arbres fruitiers sont en fleurs. Wallis et David sont assis sur un banc. David fait de la tapisserie, et Wallis lit un journal, le Figaro du 4 juin 1937. Wallis a la tête dans le journal et depuis le début de la pièce on n'a pas encore aperçu son visage. Devant Wallis et David, une petite pierre tombale entourée de fleurs en avant-scène.

Wallis (la tête dans le journal) : C'est inouï !

David (qui brode) : Qu'y a-t-il mon coeur ?

Wallis : C'est scandaleux ! Ils nous ont pris la une ! Regardez-la, toujours victorieuse et narguant le monde de son sourire perfide !

David (qui brode) : Qui donc, chérie ?

Wallis : Elisabeth, entourée de George et de Bertie.

Wallis lit l'article.

Wallis : "En haut de la tribune royale, le duc de Kent, la reine Elisabeth et le roi George VI suivent les péripéties de la grande épreuve. En présence de la famille royale et d'une foule immense, "Mid Day Sun" a gagné hier à Epsom le Derby du couronnement. Trois cent mille personnes ont fait à la famille royale un accueil inoubliable !" Quand je pense que nous avons repoussé notre mariage pour être bien traités par la presse sans que l'attention soit accaparée par le couronnement de votre frère. Je ne peux plus le supporter.

David (qui brode) : Mais que disent-ils sur nous ?

Wallis (très sèchement, continue à lire le journal) : "Le grand mariage du duc de Windsor dans un petit village d'Indre-et-Loire:- Après les heures pénibles que nous avons traversées, nous aspirons maintenant à une vie privée, heureuse et utile, et à la tranquillité qui, nous l'espérons, nous sera accordée ?!... ont déclaré les nouveaux époux après la cérémonie. Au contraire de monsieur Baldwin, madame Rimbault, hôtesse de Monts, n'admet pas l'abdication. Que signifierait le droit divin, si les rois pouvaient disposer à leur gré de leur couronne ? Aussi madame Rimbault dit-elle : "Le roi a signé mon livre d'or, le roi a fait ceci, le roi a fait cela." On est ici en pleine féerie dans cette auberge posée à un coin de route et qui offre comme seul aperçu du paysage un viaduc de chemin de fer. Il y a des drapeaux aux fenêtres, des guirlandes sous la tonnelle; dans la salle un grand va-et-vient de servantes affairées et à la porte de la cuisine, des figures éblouies de marmitons qui viennent entre deux sauces contempler tout ce beau monde accouru pour le mariage. Ce matin sont arrivés juste à temps pour assister à la cérémonie, Lady Selby, femme du ministre de Grande-Bretagne à Vienne, Mr Graham, consul général d'Angleterre à Nantes, Mr Hugh Lloyd Thomas, conseiller de l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris et le baron et la baronne Eugène de Rothschild. Un roi est venu épouser la demoiselle du château. (Wallis toujours aussi sèche) C'est le thème de la féerie. Là-dessus, il ne reste plus qu'à broder. Il y a encore, à la gare, un wagon entier de cadeaux qu'on n'a pas eu le temps de décharger - le coiffeur Antonio pour aller coiffer la mariée porte une cravate aux armes des Windsor; un révérend est arrivé d'Angleterre pour bénir les époux. Il a déclaré n'avoir reçu aucune interdiction des autorités ecclésiastiques de procéder à la cérémonie religieuse. Etonnante veillée de mariage que celle qui se déroulait hier dans cette auberge d'Indre-et-Loire, laquelle voyait rassemblés des journalistes venus de tous les coins du monde. Le comptoir transformé en Bourse aux nouvelles, le garage en salle de dépêches, avec des opérateurs installés en manches de chemise au bout de leurs câbles et transmettant au Nouveau Monde jusqu'au nombre d'épingles neige que portera la mariée. Toute l'Amérique vivait par le menu ces heures de Candé. Cependant que sur le chemin de grande communication numéro quatre-vingt-sept, des voitures, venues de Tours, tournaient doucement autour du château où un prince épris de liberté, après avoir renoncé à son Empire, goûtait enfin ces heures d'intimité diffusée. Le duc et la duchesse de Windsor se rendront en voiture à Laroche-Migennes, dans l'Yonne, où, à minuit, ils prendront place dans le Simplon-Orient-Express. Ils repartiront de Lausanne à six heures trente, et arriveront à Venise vers seize heures. Ils reprendront le train ensuite pour l'Autriche, pour descendre à la gare de Noetch et passeront quelques jours au château de Wasserleonburg que le duc a loué pour sa lune de miel."

David (qui continue à broder) : C'est gentil, mais cela n'aurait-il servi à rien de me séparer de ma couronne? Ils me suivent à la trace comme des fox-terriers.

Wallis (plie le journal, on aperçoit enfin son visage) : OK ! J'aurais dû vous quitter et ne pas vous laisser abdiquer...

David (qui brode) : Que dites-vous ?

Wallis : Je ne pourrai jamais me le pardonner.

David (qui brode) : Qu'avez-vous à vous pardonner, ne soyez pas bête. Seul, Fort Bélvèdere me manque. Le Fort a été pour moi plus qu'une demeure, une façon de vivre. Je l'ai créé tout comme mon grand-père avait créé Sandringham. C'est là que j'ai passé les moments les plus heureux de ma vie.

Wallis : Les moments où vous filiez le parfait amour avec Thelma. Elle était très belle.

David : Et mariée, et couverte de roses par Ali Khan, si vous vous souvenez.

Wallis : Qu'allons-nous devenir ? Je n'ai plus d'amis, plus de foyer, plus d'argent, plus rien, c'est terrible !

David (qui brode) : Pourtant, quand vous avez quitté Ernest, vous prétendiez être certaine de ne plus pouvoir vivre la vie tranquille et bien établie qu'il vous a offerte. Rappelez-vous les soirées à Bryanston Court où vous rêviez de voyages, de fêtes, d'inconnu, quand votre mari fatigué s'excusait et allait se coucher en nous laissant seuls à élaborer nos projets insensés.

Wallis : Vous avez toujours réponse à tout. Rien ne vous semble anormal, vous ne vous posez jamais de questions ! Où allons-nous vivre, par exemple ?

David (qui brode) : Je ne pense qu'à une seule chose, escalader les montagnes !

Wallis : Mais nous devrons bien nous installer quelque part, et vous savez que nos moyens ne suffisent plus à égaler le faste de la vie que vous meniez en tant que roi. Je ne me sens pas assez douée pour remplacer pour vous le Canada, demain la Nouvelle Zélande et après-demain les Iles Fidji ! Oh ! J'aurais dû suivre les conseils de vos amis et ne jamais quitter Londres, ou bien retourner en Amérique quand vous étiez en crise avec votre gouvernement.

David (qui brode) : Ou peut-être retourner à Pékin dans le temple des Rogers. Vous y avez très bien gagné votre vie à une époque en jouant au poker. Qui vous empêche d'y retourner et d'y retrouver vos magnifiques amants ?

Wallis : Je vous déteste !

David (qui brode toujours) : Vraiment ?

Wallis : Vous êtes un méchant personnage. Vous ne pouvez même pas vous habiller tout seul. Nous devrons bientôt nous séparer de votre écuyer. Est-ce que vous croyez que je vais vous vêtir tous les matins et vous déshabiller tous les soirs ?

David (qui brode) : Ça sera un plaisir pour moi !

Marguerite Moulichon, la femme de chambre de Wallis, entre.

Marguerite (à Wallis) : Madame la duchesse, nous devons bientôt nous préparer...

Wallis : Tout à l'heure, Marguerite.

Marguerite Moulichon sort.

Wallis : Il nous faut louer une maison le plus vite possible ! Que pensez-vous de Paris ?

David (qui brode) : Je préfèrerais la campagne...

Wallis : J'ai horreur de la campagne !

David (qui brode) : Alors, louons une maison à la ville et une à la campagne, mais après notre voyage de noce je désirerais aller en Allemagne. Charles Bedeaux peut me faire recevoir à Berlin par un de ses amis industriels, le Dr Robert Ley. J'ai l'intention d'y étudier les problèmes des habitations à bon marché.

Wallis (ironique) : Quelle bonne idée ! Quelle idée géniale ! Ne trouvez-vous pas que le moment est mal choisi et que ce voyage pourrait être mal interprété par votre famille ?

David (qui brode) : Bedeaux m'a assuré que les nazis ne se serviraient pas de ma visite dans un but de propagande.

Wallis : Vous voyez, vous ne pouvez pas respirer une minute sans travailler encore pour l'Angleterre.

David (qui brode) : L'Angleterre est ma patrie, et je peux beaucoup apporter à Bertie.

Wallis : Alors pourquoi ne pas retourner y vivre ?

David (qui brode) : J'estime que ce ne serait pas correct pour Bertie d'y retourner immédiatement.

Wallis : Correct ! Correct ! Croyez-vous qu'ils aient tous été corrects avec vous ? Et moi, qu'est-ce que je deviens dans tout cela ? Je me demande vraiment pourquoi vous m'aimez ? Pourquoi avez-vous abandonné ce métier si passionnant pour moi ? Pourquoi m'aimez-vous?

George Ladbrook, le chauffeur, entre.

George (à David) : Votre Altesse royale, je dois vous informer que la voiture est prête et, si nous voulons attraper le train de minuit, il nous faudra partir incessamment.

David (qui brode, à George) : Un instant, George !

George Ladbrook sort.

Wallis : Pourquoi m'aimez-vous, répondez ?

David (qui brode) : Je vous aime !

Wallis : Mais pourquoi ?

David (qui n'a pas cessé de broder) : Parce que...

Wallis : Mais parce que quoi ?

David (qui brode) : Parce que je vous aime ...

Marguerite Moulichon entre, déjà habillée pour le départ : manteau, chapeau, etc.

Wallis : Et moi, je ne vous aime pas, je ne vous aime pas, je ne vous aime pas !

Marguerite Moulichon sort.

David (qui brode) : Et moi, je vous aime, je vous aime, je vous aime !

George Ladbrook entre, déjà habillé pour le départ : manteau, casquette, gants blancs, etc.

David (qui brode) : Je vous aime et encore et encore et encore !

George Ladbrook sort.

Wallis (en parlant de la tapisserie) : N'avez-vous pas terminé votre motif ?

David : J'en suis à mon dernier point de croix, c'est le portrait de Slipper. Je vous fabrique une petite bourse que je finirai pendant le voyage.

Wallis (se mettant à pleurer) : Je n'aurais jamais dû le laisser gambader tout seul. C'est de ma faute si cette vipère l'a mordu, c'est de ma faute s'il est mort.

David (qui s'est arrêté de broder, passe son bras autour des épaules de Wallis) : Ce n'est pas de votre faute, c'est de ma faute à moi. Comment ai-je eu l'idée de vous le faire apporter par Perry ? Vous étiez seule à le surveiller.

George Ladbrook entre d'un côté de la scène, Marguerite Moulichon de l'autre.

David : Allons, dites au revoir à notre enfant et faisons un pacte devant lui de ne plus jamais parler de l'abdication.

David se lève, prend Wallis par la main. Ils font quelques pas en avant-scène pour se tenir devant la tombe de Slipper.

David : Nous, son Altesse royale, le duc de Windsor,

Wallis : Moi, Wallis Warfield de Blue Ridge Summit, Pennsylvanie,

David : Duchesse de Windsor,

Wallis : Duchesse de Windsor,

David : Jure devant Slippy et devant Dieu,

Wallis : Jure devant Slippy et devant Dieu,

David : De ne plus prononcer ou faire allusion,

Wallis : De ne plus prononcer ou faire allusion,

David : En aucune circonstance et à n'importe quel moment,

Wallis : En aucune circonstance et à n'importe quel moment,

David : A l'abdication du roi Edouard VIII,

Wallis : A l'abdication du roi Edouard VIII,

David : Devenu son Altesse royale,

Wallis : Devenu son Altesse royale,

David : Le duc de Windsor,

Wallis : Le duc de Windsor.

Marguerite Moulichon et George Ladbrook regardent la scène époustouflés et s'agenouillent en même temps que Wallis et David le font sur la tombe de Slipper. NOIR. RIDEAU.